L'Opinion de Daniel Cohen

La reprise : Une si longue attente

Pour la troisième année consécutive, le taux de croissance français se situera au niveau misérable de 0,4%. La France conjuguera ce taux faible avec un autre signe inquiétant : une inflation de plus en plus faible. Elle est désormais à 0,5%, soit quatre fois plus faible que le niveau souhaité par la Banque Centrale Européenne. Le parallèle avec la situation japonaise dans les années quatre-vingt-dix devient préoccupant. La France, à l’image de la zone euro, se prépare-t-elle à une décennie perdue ? Deux bonnes nouvelles devraient illuminer la croissance 2015 et remonter l’optimisme : la baisse du prix du baril, qui vaut deux fois moins cher qu’il y a un an, et la baisse de l’euro, qui est passé sous son cours d’introduction, en 1999. En cumulant ces deux effets, la croissance française devrait se situer au-dessus de 1%, certains conjoncturistes pariant même sur un chiffre de 1,5%, tant pour la France que pour la zone euro.

La baisse de l’euro doit beaucoup aux mesures annoncées puis mises en place par la Banque Centrale Européenne. Malgré les réticences allemandes, la Banque Centrale Européenne a lancé un plan de "Quantitative Easing" (QE) important. D’ici septembre 2016, 60 milliards de liquidité seront injectés dans l’économie européenne tous les mois. 10 milliards seront constitués d’achat d’actifs privés, prolongeant les programmes déjà annoncés à l’automne. Les 50 milliards additionnels seront consacrés à l’achat de dettes publiques, y compris, pour 6 milliards mensuels, les titres émis par les institutions publiques européennes (la Banque Européenne d’Investissement ou le Mécanisme de Stabilité Européen). Il resterait donc 44 milliards consacrés, chaque mois, au rachat de titres publics européens, soit sur les 19 prochains mois un rachat de dette publique s’élevant à 836 milliards d’euros.
La mesure, déjà attendue, a pourtant démontré la volonté de la BCE de mener une politique agressive, aussi longtemps que l’inflation restera basse. Les marchés ont salué l’opération, et notamment le marché des changes qui a enregistré une nouvelle baisse. Immédiatement après l’annonce du programme, l’euro est descendu à 1.1116 pour un dollar, avant de se ressaisir à 1.1217, ayant commencé la semaine à 1.1567. L’euro faible est sans aucun doute le principal levier par lequel le QE européen va agir. Compte tenu du surplus de la balance des paiements de la zone euro, l’euro faible est un résultat à la fois bienvenu sur le plan intérieur et incongru du point de vue des autres pays.
Malgré ce renfort bienvenu des mesures annoncées, la situation européenne supporte mal la comparaison avec les États-Unis. Bien que la situation américaine reste fragile et marquée par une montée inédite du chômage longue durée, la sortie de crise semble désormais acquise. Malgré un mauvais premier trimestre 2014, lié à la conjoncture climatique, l’année 2014 devrait faire ressortir un taux de croissance supérieur à 2% et atteindre, selon l'OCDE, 3% en 2015. Les créations d’emploi sont désormais solidement installées au‑dessus du seuil de 200 000 emplois mensuels qui garantissent la décrue du chômage, avec un résultat exceptionnel en novembre de 321 000 créations nettes d'emploi.

Quel diagnostic faire pour la zone euro ? Pourquoi un tel déficit de croissance ? Écoutons Mario Draghi. Dans un discours prononcé le 22 août dernier à la réunion annuelle de Jackson Hole (Wyoming), il stupéfiait son auditoire : « La zone euro souffre, depuis 2010, d’une politique budgétaire insuffisante ("less available and effective"), surtout si on la compare aux autres économies avancées. Ce n’est pas le résultat d’une dette publique élevée, en moyenne la dette européenne n’est pas supérieure à celle des États-Unis ou du Japon. Elle résulte du fait que, dans les autres pays, la Banque Centrale a joué un rôle de cran de sécurité ("backstop") pour le financement des états. C’est pourquoi il serait utile que la politique budgétaire joue un rôle plus actif aux côtés de la politique monétaire  ».

Mario Draghi résume en une phrase ce que la majorité des économistes n’a cessé de répéter. La consolidation budgétaire, à laquelle les états de la zone ont été astreints, a résulté d’une crise de confiance d’ordre institutionnel davantage qu’économique. Il enfonce ainsi le clou qu’il avait planté avec l’annonce de son programme OMT [*] : la Banque Centrale ne peut rester indifférente à la crise souveraine. Et d’annoncer un nouveau train de mesure pour renforcer la politique monétaire, sous la forme d’un "Quantitative Easing" européen. Mais il ajoute cependant qu’il y a « un risque certain que la politique monétaire ait perdu de son efficacité à relancer la demande  », du fait notamment de taux déjà très faibles. D’où sa recommandation que la politique budgétaire joue un rôle plus actif aux côtés de la politique monétaire. Mario Draghi voit l’inflation chuter à grande vitesse (0,4% sur l’année écoulée contre 1,6% un an plus tôt) et sait bien que la politique monétaire, aussi ambitieuse que puisse être la politique annoncée le 22 janvier, ne suffira pas à corriger une trajectoire qu’il interprète comme un excès d’offre.

Cela ne signifie pas aux yeux de Draghi qu’il faille renoncer aux mesures favorables à l’offre. Il signale le risque que les chômeurs de longue durée perdent leur employabilité et cite le renforcement de la formation professionnelle parmi les mesures utiles. Mais il se situe au-delà de ce clivage : « Une stratégie cohérente pour réduire le chômage doit s’appuyer sur des mesures d’offre et de demande tant au niveau de la zone euro dans son ensemble qu’aux niveaux nationaux  ». Et de citer les 300 milliards d’investissement annoncés par Jean‑Claude Junker, nouveau Président de la Commission, comme une piste à suivre.

La France est directement concernée par ce diagnostic. L’inflation faible démontre un excès d’offre, mais le commerce extérieur, déficitaire, témoigne d’un manque de compétitivité des exportateurs (la faiblesse de la demande européenne joue aussi son rôle). La France n’a en réalité pas le luxe de choisir entre l’offre ou la demande, elle doit cibler des mesures qui stimulent les deux à la fois, en ciblant des mesures favorables aux investissements productifs notamment.

Au-delà du cas français, un grand choc est nécessaire pour sortir l’Europe de sa crise. Jean-Claude Juncker a l’immense avantage sur ses prédécesseurs de bénéficier d’une légitimité propre. Le plan d'investissement qui a été proposé, à 315 milliards d'euros, est toutefois bâti sur un formidable effet de levier, puisque les garanties européennes ne dépasseront pas 21 milliards. L'appel à des contributions additionnelles des états, pourtant exemptés par la Commission d’une prise en compte de ces apports dans le calcul des déficits publics, n'a pas été entendu par les capitales. Si l'Europe veut échapper au marasme persistant, il faudra bien pourtant qu'elle s'accorde sur une stratégie coordonnée de sortie de crise. Sinon, le syndrome japonais deviendra de plus en plus probable.

[*] Outright Monetary Transactions ou Opérations Monétaires sur Titres, programme lancé en septembre 2012














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