Wednesday 18 February 2015

Perspectives 1 - Conjoncture & consommation : La Belle au bois dormant peut-elle se réveiller ?

Comme 2014, l’année 2015 ne s’annonce pas révolutionnaire en matière de commerce et d’emplacements commerciaux. Les hubs numéro un parisiens ont toutes les chances de continuer à tirer profit de la mondialisation et de la montée en puissance des "wealthy people" sur la planète.L’année 2015 pourrait en revanche marquer une inflexion pour les emplacements numéro deux, écartés de la « mondialisation heureuse ». Une inflexion légère mais potentiellement positive. Raisons d’y croire et raisons de rester prudents…
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les espoirs économiques, pourtant prudents, placés en l’année 2014 ont été douchés. La déception est claire. La plupart des économistes anticipaient un mouvement de reprise modérée de la croissance, après une phase de stabilisation en 2013. Les anticipations tournaient, selon les organismes, entre +0,9 et +1% de croissance du PIB français. Les résultats définitifs de 2014 ne sont pas encore connus, mais la croissance ne devrait guère faire mieux que +0,4%. Ce sera donc, dans le meilleur des cas, à peine plus qu’en 2013. L’économie française joue à la Belle au bois dormant et ce, depuis la mi‑2011, voire la mi-2007 (la période 2010/2011 ayant à peine permis de corriger le recul de 2008/2009).

Les incertitudes sont nombreuses et conduisent à la prudence. Reste que la croissance s’annonce un peu plus favorable en 2015 que lors des années précédentes. 
L’héroïne du conte avait connu une nuit de 100 ans. L’économie française dormira-t-elle longtemps elle aussi, pour ce que Daniel Cohen appelle ici une décennie perdue, aspirée par le cercle vicieux de la déflation ? Ou a-t-elle des chances de se réveiller progressivement ?

Les chiffres du troisième trimestre 2014, meilleurs que prévus, pourraient donner un petit espoir. Ces différences entre prévisions et résultats effectifs témoignent toutefois d’abord de la difficulté à modéliser l’avenir économique, tant la part psychologique dans les décisions des acteurs est importante. Pour paraphraser Jean Gabin : « Maintenant je sais, je sais qu’on ne sait jamais ». Si ces chiffres du troisième trimestre montrent que l’effondrement n’est pas de circonstance, il serait néanmoins bien aventureux d’en faire les prémices d’une tendance à la hausse durable. Reste que la plupart des organismes de conjoncture anticipent une année 2015 légèrement meilleure - ou moins atone - que la précédente, avec des prévisions de croissance oscillant entre 0,7 et 1,0% pour la France. La zone euro, qui absorbe 60% des exportations françaises, devrait elle aussi retrouver un peu de peps.


Plusieurs éléments devraient en effet donner un bol d’air aux entreprises, qui souffrent toujours d’un taux de marge faible (29,4%). Il y a d’abord la baisse concomitante du pétrole et de l’euro. Certaines études montrent ainsi qu’une contraction de 10% de la monnaie européenne se traduirait par un regain de croissance de 0,5% à horizon d’un an. L’euro a amorcé sa décrue par rapport au dollar en avril 2014 et celle-ci s’est véritablement accélérée en juillet. La baisse est désormais de l’ordre de 10% puisque l’euro est passé de 1,39 à moins de 1,25 dollar au début décembre 2014. À voir donc. Ajoutée au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), qui donnera sa pleine mesure cette année, ainsi qu’aux premiers effets des allègements fiscaux liés au pacte de responsabilité, la baisse de l’euro vient crédibiliser les scenarii de croissance timide des organismes de conjoncture.
Les Français épargnent au lieu de consommer. C’est le signe de leur inquiétude et de la dimension psychologique dans la léthargie de la consommation.
Ces éléments laissent espérer une stabilisation progressive en matière d’emplois, de même qu’une amélioration du pouvoir d’achat disponible et du moral des consommateurs. Ce dernier point est essentiel pour le devenir des commerces, notamment lorsqu’ils sont situés en dehors des emplacements numéro un. C’est en effet la clientèle locale qui alimente leur chiffre d’affaires. Que celle-ci retrouve la confiance et l’envie de se faire plaisir en consommant plutôt que de se sécuriser en épargnant et la répercussion sera immédiate sur les magasins de proximité.

Consommation mensuelle des ménages en biens (Volumes aux prix de l'année précédente chaînés - Série CVS-CJO) - Source : INSEE


Non pas que la consommation des ménages se soit effondrée. C’est même le seul pilier de l’économie française qui résiste. Il résiste en ne bougeant pas. La consommation ne baisse pas mais elle ne monte pas non plus. Cela s’est vérifié en 2014, comme pendant les sept années qui ont précédé. Plus de huit années de stagnation de la consommation : le phénomène est inédit en France depuis la fin de la dernière guerre mondiale.

Cette stagnation n’a pas pour origine une contraction du pouvoir d’achat des ménages. Ne sont en effet principalement concernées par cette contraction que les personnes en dehors de l’emploi et en situation de précarité, soit à peu près les 10% de la population les plus pauvres. Une population en marge du système économique et qui ne compte statistiquement que peu dans les chiffres de la consommation. Ce n’est pas le cas pour les 10% les plus riches, qui est l’autre catégorie touchée par la baisse des revenus disponibles (au moins pour les quantiles les plus « modestes » de ce décile très inégalitaire de la population). En langage moins technique, nous parlons ici grosso modo de la classe moyenne supérieure, restée en dehors des mécanismes de défiscalisation ou d’exil fiscal, et qui a absorbé les trois quarts des hausses d’impôts de ces dernières années. Mais globalement, à l’échelle de la population française, et malgré un chômage élevé, les salaires ont continué de progresser (faiblement certes) et le pouvoir d’achat a profité du tassement des prix.
Les raisons du calme plat en matière de consommation sont donc davantage à chercher dans la psychologie des consommateurs. Si l’on écarte l’hypothèse de l’entrée dans une société décroissante cherchant son épanouissement en dehors de l’avoir et du consumérisme (hypothèse que rien ne corrobore, à commencer par la morosité dominante de la société française), une explication s’impose : l’inquiétude des ménages quant à l’avenir, et notamment celle des classes moyennes populaires (les quatre premiers déciles de la population), qui jouent un rôle essentiel en matière de consommation. Cette inquiétude est réelle. Elle se mesure dans la hausse du taux d’épargne des ménages, qui est monté à 15,9% du revenu brut disponible au troisième trimestre 2014. Les ménages ne consomment pas plus, mais ils accroissent leurs placements, notamment en épargne contractuelle et en assurance-vie. Ces placements de long terme sont avant tout destinés à se prémunir d’éventuels coups durs à venir.
Champions du monde de l’usage des tranquillisants, les Français poussent la logique jusque dans la finance… Pour dire leur spécificité en la matière, il suffit d’un coup d’œil sur nos voisins. Quand les Français épargnent 15,9%, les Britanniques sont passés en dessous de 6%. Seuls les Allemands font plus que nous, mais sans doute pour d’autres raisons, notamment de vieillissement de la population.

De l’argent épargné, c’est de l’argent qui n’entre pas dans les circuits du commerce. Et c’est de l’argent stérilisé s’il ne peut non plus servir à financer l’investissement, les entreprises n’étant pas en demande.

Il y a donc là un ressort psychologique dans la situation française. Le briser ne sera pas aisé. Il est néanmoins possible que la suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu, à compter de cette année, y contribue. En « déstressant » la population solvable la plus modeste, cette mesure peut l’inciter à reprendre le chemin des magasins. Un changement qui contribuerait alors à lever les craintes de grippage de l’économie liées à d’éventuelles anticipations baissières des prix. Des anticipations qui conduisent à reporter les décisions d’achat pour profiter, plus tard, de nouvelles réductions.

Évolution du chiffre d'affaires par mode de distribution - Indice en volume sur strates intermédiaires - Cjo cvs - Source : Banque de France - DGS



Une menace réelle pour le commerce mais qu’il ne faut pas surestimer : à la fin 2014, si l’inflation sous-jacente (excluant la part la plus volatile) était nulle, la France n’était techniquement pas en situation de déflation. La déflation est une tendance durable à la baisse du prix moyen des biens et des services. Il y a ponctuellement des déflations sectorielles, qui portent sur quelques compartiments de l’économie (à l’exemple de l’immobilier résidentiel sur certains secteurs géographiques), mais le phénomène n’est pas général et ne doit pas être confondu avec la situation de désinflation actuelle. Le rythme d’inflation baisse mais le prix moyen des biens et services ne baisse pas. Il n’y a d’ailleurs contraction ni des salaires ni de la masse monétaire – contraction qui accompagne les périodes de déflation. L’agrégat M3 [6] de la masse monétaire était ainsi en hausse, sur un rythme annuel, de 2,6% en octobre 2014 pour sa composante française [7].
Si danger il y a, il est en l’occurrence davantage dans la création de bulles spéculatives, l’argent non dépensé servant à alimenter des mécaniques auto-entretenues et artificielles dans certains compartiments (immobilier, monétaire, obligataire ou autre). Des bulles qui finissent par exploser, avec souvent de grands dégâts collatéraux. Pour remédier à leur formation, la relance des investissements de productivité, publics ou privés, est une solution. À l’image par exemple du récent plan Juncker lancé par la Commission européenne.

Il y a donc des raisons d’espérer en 2015. Pour l’économie en général, pour le commerce dans sa globalité mais aussi, et c’est plus nouveau, pour le petit commerce (hors emplacements numéro un), qui est à la peine depuis quatre ans. Par ricochet, on peut espérer une évolution favorable aux emplacements numéro deux, cible principale du petit commerce indépendant. Mais de là à croire au miracle d’un retournement complet, il y a un pas que nous ne franchirons pas.

Ces évolutions ne concerneront qu’à la marge les emplacements numéro un qui, nous l’avons vu, fonctionnent à plein avec l’économie monde et sont marqués par une montée en gamme de leurs enseignes. Ils ne souffrent pas, au moins à Paris, de la morosité française. Au contraire, ils profitent de l’apparition de classes supérieures dans de nombreux pays – classes qui se mettent à voyager et à consommer lors de leurs voyages. Outre les pays émergents, l’activité de ces emplacements est dynamisée par l’enrichissement global des populations les plus aisées. Un document de travail de l’OCDE [8]montrait récemment qu’il était considérable à l’échelle des 34 pays de l’organisation. Si les revenus des 10% de la population les plus riches représentent désormais 9,5 fois le revenu des 10% les plus pauvres (jusqu’à 16 fois aux États-Unis, 27 fois au Mexique et 30 fois au Chili), le ratio n’était que de 7 dans les années 1980. Les plus pauvres ne sont pas forcément plus pauvres qu’avant, mais ils se sont moins enrichis que ceux situés à l’autre bout du spectre social.
C’est la prospérité grandissante des populations aisées qui fait le bonheur des emplacements numéro un parisiens. Géographiquement en France, ils sont l’adresse du monde entier. Et il n’y a aucune raison d’attendre un coup de théâtre qui changerait cet état de fait en 2015.

[6] L’agrégat M3 regroupe le total des pièces et billets en circulation, les dépôts bancaires à vue (comptes courants), les dépôts à court et long terme ainsi que les OPCVM monétaires.
[7] Banque de France 
[8] Federico Cingano, « Tendances de l’inégalité des revenus et son impact sur la croissance », OCDE, 9 décembre 2014

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